L'Astronome Eclipse

Le transit de Vénus: une perle matinale...

Telle une déesse sortant de la nuit, voici Vénus s'échappant des ténèbres, sauvée par le dieu solaire, en route vers des cieux plus cléments... mais comme si la belle ne voulait pas se faire surprendre en flirtant avec le dieu tout puissant, elle s'échappe peu à peu de ses bras enflammés, prête à s'envoler vers un monde stellaire bien plus discret. A la manière d'un coup de vent balayant le cosmos, la planète si délicate se voit chamboulée au point de disparaître en début de matinée...

C'est ainsi qu'en ce matin du Mercredi 6 Juin 2012, dès 6h00 heure locale, la planète Vénus sortait, accompagnée par le Soleil. Bien plus rapide que l'astre orangé, elle filait à grande vitesse... Avant de la voir s'éclipser dans le fond cosmique, nous avons pu contempler une silhouette ronde et noire escortée par une bonne dizaine de petites taches solaires. Mais avant d'assister à un tel spectacle, il nous a fallu affronter bien des choses...

Il faut dire qu'observer ce transit ne fut pas de tout repos. Nous autres, astronomes français, devions nous lever tôt pour espérer voir le couple stellaire. 6H00, c'était l'heure du lever du Soleil... et moins d'une heure plus tard, c'était la disparition de Vénus. Partout dans le pays, les groupes d'observateurs s'étaient formés, prêts à scruter le phénomène dans les moindres détails; astronomes, curieux, tous étaient armés de jumelles, lunettes, télescopes, filtres et autres dispositifs de combat solaire. Chacun d'entre nous attendait patiemment, le regard tourné vers l'Est, en quête du premier rayon qui pouvait trahir la cachette de la Lumière Stellaire, comme s'il ne fallait pas la laisser s'échapper dans le ciel. De l'autre côté, la Lune à peine grisâtre brillait de toute sa splendeur: c'était elle le phare de l'aube, et cela lui plaisait bien d'éclairer le paysage avant que quelqu'autre étoile vienne lui faire de l'ombre. Et que dire de Jupiter qui, dans ce ciel bleu marine tout juste ébranlé par les timides lueurs zodiacales, tentait en vain de sortir de l'embuscade tendue par les constellations du Taureau et du Bélier! De toute évidence, ce transit allait être le symbole d'une lutte sans précédent, opposant à la fois la fatigue des astronomes contre leur passion, et le beau ciel nocturne contre le tout puissant Soleil. Ah, tous sur le pied de guerre! Le temps avançait, les instruments étaient installés, et le moment fatidique approchait!

Pendant que la nation astronomique se préparait, j'étais moi aussi en route pour le bord de mer. Sur la route, avec un ami, nous voyions les villes qui s'éteignaient peu à peu. Le chemin semblait désert. Qui donc pouvait bien sortir à une heure pareille si ce n'est nous, d'autant plus pour aller regarder une étrangeté interplanétaire?

5h00 venait de sonner; le matériel dormait encore à l'arrière du véhicule. C'est ensuite une trentaine de minutes avant le lever du Soleil que nous avons atteint le point d'observation qui avait été repéré il y a une semaine... certains membres des clubs Antarès et Cassiopée attendaient déjà sur les lieux. Au moment où nous allions nous garer, quelle surprise venions-nous de voir! D'autres astronomes étaient présents, eux aussi, avec des télescopes! Par la suite, et après avoir un peu discuté, nous avons appris que nos collègues provenaient de l'Observatoire du Pic des Fées...

C'est donc un ensemble d'une quinzaine d'observateurs qui se postaient là, dans l'espoir de voir le transit.

En lui-même, le cadre d'observation était paisible: nous étions sur une plage près de la Capte, non-loin de Hyères. Tournant le dos au célèbre tombolo de la côte d'Azur, on pouvait voir une mer très calme, presque d'huile. Sur la droite, vers le Sud-Ouest, la côte semblait vouloir attraper les îles d'Or; car oui, Porquerolles et Port Cros culminaient en face de nous, au loin! Leurs basses collines frôlaient une brume assez épaisse qui, par la suite, allaient probablement masquer le Soleil... A notre gauche, vers l'Est, le port de Hyères et les plages de l'Ayguade paraissaient figées, prises dans un courant d'air pétrifiant, comme si le temps les avait solidifiées par un mystérieux pouvoir au cours de la nuit. Enfin, vers l'endroit précis où l'astre devait apparaître, on pouvait distinguer les contours de quelques collines très basses: derrière elles se trouvait sans aucun doute le fort de Bregançon, ou encore des criques sauvages et inaccessibles...

Hormis notre groupe d'astronomes, il n'y avait personne. Les boutiques touristiques étaient closes, les voitures demeuraient très rares sur la petite route du littoral. Même les bateaux restés au large ne montraient aucun signe d'activité, et les mouettes somnolaient encore dans leurs nids, en retrait et à l'abri de tout éventuel dérangement nocturne.

Hélas, ce monde idyllique n'avait pas uniquement un beau décor et un climat de rêve: certes, la température, s'élevant à environ quinze degrés Celsius, n'était pas contraignante, mais l'humidité se faisait sentir. Pire, la brume qui montait vers le ciel ne se dissipait pas, et quelques instants avant l'apparition du Soleil, nous n'avions que cinq degrés de ciel dégagé! Un tel élément, aussi imprévu fut-il, pouvait changer d'un moment à l'autre, mais cela n'en prenait malheureusement pas le chemin... et nous, pendant que l'envie de balayer cette brume grandissait, nous devions également affronter une invasion de moustiques! En effet, à proximité d'un lieu aussi humide que la mer, comment échapper à ces insectes?! Tôt ou tard, nous devions les rencontrer. Autant dire que ces êtres minuscules mais ô combien embarrassants n'ont pas attendu pour nous rendre visite. Mais l'un de nous avait une arme absolue, à savoir une bombe anti-moustiques. Je ne vous cacherai pas que ce fut d'une aide précieuse pour passer le reste de la matinée en paix. Ceci dit, le Soleil allait sortir d'un instant à l'autre, et les insectes ont rapidement été oubliés!

Peu après six heures, les rayons du soleil commençaient à s'introduire entre la brume et la mer... nous étions tous très excités: chacun espérait être le premier à apercevoir le nord de cette boule flamboyante et rayonnante au dessus de la surface usée des lointaines collines. Les secondes devenaient insupportables! Chaque instrument pointait déjà la cible avant même qu'elle ne soit visible. La tension montait toujours plus... et puis, d'un coup...

«Je le vois! Je le vois! Le Soleil est sorti!» Un astronome venait à peine de repérer l'infime partie de l'astre émergeant de l'horizon. Et rapidement, tout le monde s'est mis à observer. La joie était déjà au rendez-vous, et elle s'est tout de suite intensifiée lorsque le magnifique rayon vert est apparu dans nos oculaires. Quel instant bref! Comme une aurore qui se serait aplatie, écrasée par l'attraction, voici qu'un ruban vert pomme lumineux, vif et brillant, venait de s'étaler sur tout le pôle nord du Soleil pour ensuite se recroqueviller sur lui-même et disparaître en l'espace d'une courte seconde. La déformation de l'image due à l'atmosphère et à ses turbulences donnait à ce rayon la forme d'un arc dont les extrémités tendaient à s'arrondir pour créer un demi cercle serré de chaque côté. Et comme toute bonne surprise, cela n'a fait que nous rendre plus heureux que jamais; ceci en sachant que le meilleur et le plus important était à venir...

L'apparition de Vénus était imminente. Là aussi, nous n'avons pas tardé à entendre un astram dire «Ça y est, la voilà!»... et c'est ainsi que l'un des plus beaux cadeaux du système solaire nous a été offert à ce moment précis: pour la dernière fois de notre existence, pour l'ultime occasion d'en voir un durant le 21ième siècle, le transit de Vénus s'est dégagé de la surface terrestre. La sœur jumelle de la Terre passait devant le Soleil, lentement, comme si elle voulait éclipser notre étoile. Voir cette petite bille devant ce gros mastodonte orange, c'était si magique et tellement grandiose!

Nous étions en train de vivre le transit de Vénus! C'est ce 6 Juin 2012 entre 6h et 6h50 que nous assistions à cet événement exceptionnel et désormais unique.

Transit de Vénus (photo L'Astronome Eclipse)

Tout le monde scrutait le phénomène dans les lunettes et les télescopes. En l'espace d'une ou deux minutes, un ami et moi avons immortalisé le transit à l'aide de nos appareils photo. Bien évidemment, nous en avons aussi profité pour observer à l'oculaire: sur mon Mizar 114/900, un oculaire Meade 32mm série 4000 nous offrait un faible grossissement; nous avons donc vu le soleil dans sa totalité, avec trois ou quatre taches entourées d'autres points tout autant noirâtres mais bien plus discrets. Vénus se démarquait nettement, formant un rond sombre bien défini qui semblait fixe. Ensuite, un oculaire Mizar 20mm m'a permis de «m'approcher» un peu plus: on ne zoomait pas beaucoup, mais on pouvait tout de même distinguer un anneau clair autour de la planète, -qui pouvait correspondre à coup sûr à son atmosphère selon moi-. Quelle joie de voir une planète aussi sombre alors que d'ordinaire, on a plutôt affaire à un objet céleste éclatant! On aurait pu imaginer que cette friponne avait mis un masque ce matin-là! D'ailleurs, il faut dire qu'un scientifique qui en aurait eu le temps aurait pu mesurer précisément le diamètre du disque vénusien. Ceci n'est pas sans rappeler les expéditions qui, par le passé, et sous l'égide des grandes institutions scientifiques telles que les académies ou la Société Astronomique de France, ont permis aux astronomes de valider (ou réfuter!) une multitude de théories et travaux dont les enjeux ne se limitaient pas uniquement aux observations visuelles du système solaire! A ce propos, en me trouvant face au transit ce matin-là, j'admets avoir eu une pensée particulière pour feu mon astronome préféré Camille Flammarion... cet éminent scientifique du XIX ième siècle ayant déjà, à l'époque, compris et étudié l'ensemble des principes mécaniques des occultations et transits...

La planète Vénus passait à la fois si lentement et si vite! Cette pastille noirâtre semblait glisser à la surface du Soleil, comme s'il s'agissait d'une bille de billard propulsée sur le tapis... mais qui donc pouvait jouer comme tel avec d'aussi grandes boules? Mystère. A moins qu'il ne s'agisse d'électrons excités à l'idée de tournicoter autour d'un noyau désabusé... Et nous, qu'étions-nous devant cette fourmilière cosmique? Nous admirions toute l'énergie contenue dans ce spectacle incroyable dont les forces et le sens nous échappaient. Mais qu'importe, c'était beau.

Le temps, lui, n'avait pas une minute à perdre dans cet univers si relatif. Il fallait avancer coûte que coûte, et nous étions contraints de le suivre. La brume maritime demeurait là, bien déterminée à ne pas se retirer. Ainsi donc, la Terre voulait-elle faire de l'ombre au Soleil et à sa compagne? C'est en tout cas ce qui s'est produit, et avec un triste succès: les troisième et dernier contacts n'ont pas pu se montrer à nos instruments. La scène en devenait presque désapointante car progressivement, l'astre solaire disparaissait derrière les épais nuages, emportant la belle Vénus avec lui. Mais l'espoir de voir le ciel se dégager ne s'en réduisait pas moins. L'ambiance, toujours aussi intense, subsistait entre les astronomes encore présents; les plus pessimistes d'entre nous commençaient à replier leur matériel, mais mes amis et moi, nous voulions encore y croire. Aussi avons-nous patienté jusqu'à l'heure officielle de la fin du phénomène. L'excitation due à la vision toute fraîche du phénomène céleste nous avait littéralement rendu fous de joie. Mais hélas, l'attente s'est finalement avérée vaine: la couverture ne s'est pas dissipée, et le transit de Vénus a pris fin sans que nous puissions admirer les dernières minutes de l'évènement. 7H00 sonnait tout juste.

Plage de la Capte (photo L'Astronome Eclipse)

C'est à travers tout le département que les appels fusaient: les clubs se contactaient pour s'échanger leurs rapports d'observation. Les astronomes se téléphonaient et racontaient ce qu'ils avaient pu voir selon les conditions météorologiques locales. J'ai ainsi appris que vers le massif de la Sainte Baume, la matinée d'observation avait été un réel succès. Il en était de même dans la Provence verte, non-loin de Rocbaron, où une seconde équipe du club Cassiopée s'était postée sur une colline et avait pu contempler le phénomène sans encombre. C'est en ce lieu précis que d'autres amis astrams ont également immortalisé le transit à l'aide d'appareils photos fixés sur de simples lunettes; Mais pour profiter au mieux du spectacle, plusieurs instruments de qualité avaient été employés... Un peu plus loin sur la côte, vers la Seyne, à l'Ouest de mon poste d'observation, les observateurs n'ont en revanche pas eu l'opportunité et la chance d'assister au transit vénusien. Mais ce n'est que partie remise: à défaut de pouvoir vivre jusqu'en 2117, nos camarades pourront certainement profiter du transit de Mercure, dont la date s'approche toujours plus, et bien plus vite que ce que l'on pourrait imaginer...!

Malgré les nuages, la plage demeurait très lumineuse. Mes amis et moi-même étions désormais les seuls curieux du ciel encore en place. Après avoir rangé tous les instruments dans les véhicules, chacun de nous est parti. Et tandis que je rentrais chez moi, le monde se réveillait à peine. Les travailleurs s'en allaient pour une nouvelle journée. Les enfants partaient à l'école. Les étudiants reprenaient leurs révisions... et les astronomes, eux, rentraient dans leurs maisons pour se reposer, mais aussi pour éditer leurs photos. Chacun d'entre nous repartait avec des souvenirs plein la tête, des anecdotes, et des images fantastiques. Que dis-je... ce sont les images du siècle! Je ne serai plus de ce monde en 2117, alors oui, ces clichés sont maintenant le témoignage historique d'un événement sans équivalent, et dont la date du 6 Juin 2012 sera inscrite dans les livres.

Vénus, cette belle planète ayant pris plaisir à offrir un spectacle splendide aux habitants de la Terre, s'est échappée vers l'espace, continuant sa course autour de l'étoile des hommes. Sa silhouette, surprise devant la lumière, a fait le bonheur des observateurs. Mais toutes les bonnes choses ont une fin, et la sœur de la planète bleue n'a pas tardé à s'en aller... c'est maintenant au tour de la timide Mercure de se préparer: dans quelques années à peine, elle jouera la star du système solaire pour un nouveau transit...

6 Juin 2012 transit de Vénus

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